REIMS QI GONG, Club de Qi Gong
    SOMMAIRE  |  COURS  |  STAGES  |  THEORIE DU QI GONG | 
 |  LIENS  | 
Extrait des conclusions de la thèse de Monica Esposito - 1993

Neidan et Qigong - une mise en perspective

[...] Peut-on encore parler de Neidan dans les oeuvres Longmen lorsque la partie physiologique prévaut sur les aspects métaphysiques de l'Oeuvre ou devons-nous plutôt employer, comme le souligne Mme Robinet, le terme de Qigong pour cette catégorie d'ouvrages?
On doit certes reconnaître que le système Neidan a connu une vulgarisation et une simplification au cours des dynasties Ming et Qing et qu'une place importante fut réservée à l'exposition de théories médicales à l'usage de tous contrairement aux classiques alchimiques des époques précédentes qui ont conservé leur caractère hautement symbolique. D'après notre analyse du Daozang xubian, on peut voir que le "système Neidan" est encore présent dans ce recueil bien qu'il soit simplifié par rapport à la littérature orthodoxe en ce domaine. L'emploi des symboles alchimiques et celui des visualisations complexes qui distinguaient le Neidan naissant du Shangqing y sont moins fréquents mais il reste cependant la logique des traités alchimiques "traditionnels", leur langage emprunté au Yijing, au Daodejing, etc., ainsi qu'un esprit fortement syncrétique. Nous retrouvons par conséquent dans nos textes des termes du bouddhisme, du confucianisme ainsi qu'une synthèse des différents courants du taoïsme parmi lesquels l'école Jingming et la tradition du Sud semblent prévaloir.
Ce Neidan tardif peut alors être vu comme un avant-goût de ce qui plus tard dans la société chinoise moderne, s'appellera Qigong. Même si le Qigong est le produit d'une période historique bien précise - celle de la République Populaire Chinoise -, on peut retrouver dans le développement de ses techniques, un parcours similaire, d'un certain point de vue, à celui qui a caractérisé l'aube du Neidan. Les études récentes sur le Qigong, tant chinoises qu'occidentales, cherchent ainsi à rattacher le Qigong au patrimoine ancestral chinois des techniques de longévité, comme le Daoyin, le Tuna, etc. ; c'est à ce titre que selon certains, la première mention du terme Qigong se trouve - une fois encore - dans l'oeuvre du patriarche Jingming, Xu Sun.5 En réalité, l'emploi du terme tel qu'on l'utilise aujourd'hui dans le sens d' itensemble de techniques reposant sur le travail du qi", ne remonte qu'aux années 50-60. Comme dans le cas du' terme Neidan, le mot Qigong ne fut d'abord employé que pour désigner des techniques spécifiques et en particulier des exercices respiratoires; puis, au fils des ans, il a commencé à se constituer comme un système autonome intégrant en lui la tradition mystique chinoise tout en ayant recours aux religions à nouveau tolérées par le gouvernement chinois. C'est surtout le bouddhisme qui aujourd'hui attire le faveur du peuple.
Le Qigong commence ainsi à s'enrichir d'une base idéologique et religieuse regardée avec suspicion par le gouvernement lequel cherche, d'une certaine façon, à limiter son champ d'influence à la seule gymnastique corporelle pour la santé. Le Qigong continue pourtant à se mélanger au substrat religieux et cultuel de la Chine entraînant ainsi une prolifération d'écoles de Qigong lesquelles se réclament des grands maîtres du passé. Les manuels de Qigong pullulent de plus en plus et regorgent de citations empruntées aux classiques taoïstes tels que le Laozi, le Zhuangzi, les classiques alchimiques tels que le Cantongqi, le Wuzhenpian, etc.
Les nouveaux "maîtres de Qigong" cherchent à se distinguer des anciens maîtres détenteurs des arts alchimiques tout en revendiquant leur appartenance aux anciennes écoles religieuses qui se sont jadis constituées aux pieds des montagnes lès plus sacrées de Chine. Souvent, ils se rendent ainsi en pèlerinage et restent auprès des moines taoïstes ou bouddhistes qui ont survécu à la révolution culturelle pour obtenir la transmission de quelques techniques de longévité. Le niveau de ces prétendus maîtres n'est cependant pas particulièrement élevé et révèle la coupure qu'il y a eu dans la transmission des arts traditionnels avec l'avance de l'idéologie communiste, laquelle s'est efforcée dans un premier temps de faire table rase du passé.
Confronté aux nouvelles figures charismatiques que sont ces maîtres de Qigong, le gouvernement chinois a cherché à les intégrer dans son système politique. C'est ainsi qu'en 1987, le gouvernement a organisé une grande conférence sur le Qigong qui fut dirigée par un maître alors très célèbre: Yan Xin. A l'aide d'une nouvelle méthode appelée Jiangzuo Qigong (Qigong de conférence !), qui se rapproche des techniques d'hypnose, Yan Xin se présenta devant une foule de gens réunis dans le gymnase de Pékin et, avec le seul pouvoir de sa voix monotone, mais aussi d'après certains, grâce à son Qi, il semble qu'il les mit entièrement en transe. Il tint ainsi une série de discours qui durèrent des jours entiers et dans lesquels il expliqua des méthodes de concentration et de visualisation empruntées principalement au bouddhisme qu'il agrémenta -peut être sous la contrainte - d'une série de règles d'ordre moral et d'esprit crypto-communiste. C'est ainsi que Yan Xin diffusa la nouvelle doctrine du Qigong sous les auspices du gouvernement. Le discours qu'il tint aux cadres dirigeants pour promulguer le Qigong peut se résumer dans les possibilités que ces pratiques ont d'accroître la capacité de travail des gens, d'augmenter le quotient intellectuel des enfants, mais aussi d'engendrer une nouvelle génération de génies pour une Chine nouvelle. Cela n'est pas sans rappeler les discours tenus par Wang Kunyang lors de la prise des voeux et où il imposa une morale conforme, cette fois, avec les desseins de la nouvelle dynastie Qing.
Les fonctionnaires du Parti comme les anciens mandarins au service de la cour ou même les empereurs d'autrefois, s'intéressent à ces pratiques qu'ils considèrent simplement comme un art efficace pour la guérison et la longévité tout en cherchant à le conformer à des valeurs purement "communistes". Il semble aussi qu'ils s'entourent, à l'image des empereurs de jadis, de maîtres de Qigong responsables de leur santé.
Tous les ans, le gouvernement organise à Pékin des réunions des maîtres les plus importants de Qigong pour contrôler leur niveau éthique, leur donner les nouvelles dispositions officielles en même temps que pour tester leurs capacités "scientifiques". Il semble que ces maîtres puissent guérir de graves maladies grâce à l'émission de leur Qi qui s'avérerait si puissant qu'il peut changer les structures moléculaires ou la trajectoire de missiles : ce que la communauté scientifique occidentale considérerait comme de pures aberrations fut officiellement énoncé lors de la 2ème Conférence mondiale de Qigong à Pékin en 1988, Le gouvernement chinois semble ainsi espérer un emploi belliqueux du Qigong et dirige une partie de la recherche scientifique sur l'étude des pouvoirs surnaturels qui peuvent être acquis grâce à sa pratique.
Dans cette optique, on peut donc considérer le Qigong comme l'expression du Neidan de l'époque moderne, comme un système de techniques psycho-physiologiques. En dépit du fait qu'il fasse nombre d'emprunts au vaste patrimoine traditionnel, le Qigong est seulement en train de prendre la forme qui lui permettra de s'adapter aux exigences de son temps mais laisse aussi transparaître une nouvelle renaissance de toutes les pratiques et cultes populaires qui ont survécu dans les campagnes chinoises et que la révolution n'a pu détruire. Si on compare le niveau culturel et intellectuel des manuels de Qigong à nos textes, on peut voir qu'il est encore loin d'atteindre la complexité du système qu'on appelle Neidan et de ce point de vue, nous sommes en accord total avec 1. Robinet qui considère que le Qigong n'est pas du Neidan, D'un autre côté, on entrevoit déjà dans les textes du Daozang xubian une tendance à la vulgarisation qui peut, dans ce sens seulement, le rapprocher du Qigong. Nos textes restent encore imbibés par la culture du passé et sont l'oeuvre des lettrés et de la classe élevée dans laquelle se recrutaient en partie les fonctionnaires de la société chinoise. n'est ainsi pas exclu qu'un développement du Qigong le rattache un jour aux intellectuels comme le montre les prises de position du grand astrophysicien Qian Xuesen en faveur du Qigong qui reste un phénomène typique de la société "moderne" clùnoise.
Le paradoxe de cette société moderne s'illustre pour nous dans la coexistence anachronique entre les vieux taoïstes du Mont Jingai7 qui sont la mémoire d'un temps où on brülait l'encens et où de célèbres fonctionnaires en retraite séjournaient sur les flancs de cette montagne et les fonctionnaires du parti qui ont poussé l'injure jusqu'à dresser une antenne de télévision au sommet du pic sacré à la place des anciennes traces laissées par les immortels qui autrefois parcouraient ses forêts de bambou.

Liste d'autres articles   La fièvre du Qigong de David Palmer